21/12/2010

CHAP.2 Here it goes Again (Ok Go!)



La porte s’est ouverte sur Olivier. Fini de rêvasser. Mais celui là, je l’aime bien, on ne s’ennuie pas avec lui. En plus, ce type, il a une vraie réputation d’activiste dans le milieu. Il triture de la basse et de la guitare dans une foultitude de groupes, entre punk rock binaire et post rock atmosphérique, en passant par la noise foutraque et la folk intimiste. Un génial touche-à-tout même si il préfère se décrire comme un infâme bon-à-rien. Il vide les poches de l’Etat en rigolant mais notre petit cercle lui en est reconnaissant : ça nous offre quelques disques supplémentaires à ranger dans nos discothèques. En plus de ça, c’est un véritable tueur, un professionnel de la pire espèce, et payé, qui plus est. Il critique sans haine, élimine après mûre réflexion, supprime avec de vagues remords. Quelquefois seulement. Olivier est critique musical dans Kerozene, la référence ultime du fanzinat hexagonal. Depuis qu’il officie, une cohorte de groupe est passé de vie à trépas par le seul geste violent qu’il se permette : des articles acides mais percutants, cyniques, argumentés avec une pointe de mauvaise foi. Son lectorat le porte aux nues, ses cibles voudraient voir sa dépouille jetée au large de la Rochelle. Allez savoir pourquoi, il a toujours aimé les morceaux que j’avais bricolé dans ma tanière d’étudiant, il y’a quelques années. Et il supportait mes vaillants efforts de commerçant. Par engouement peut être. Avec une pointe de pitié et de bons sentiments, sans doute. Sa présence m’apaisait autant qu’elle me libérait l’esprit de mes idées noires. Alors je me contrefoutais de ses motivations. Marché conclu.
-Salut Oliv’
-Tout roule Lemmy?
C’est le seul que ça fait marrer. Il m’appelle comme ça, rapport à mes tatouages, ma voix burinée au whisky et aux Gauloises blondes, ma passion pour Motörhead, surtout. Lemmy Kilmister. Lemmy Deleval. Je m’y perdrais, à force.
-Alors, les affaires?
-Gros arrivage de disques cet après-midi. Du scandinave surtout. Les pâles copies de Refused me font chier. J’ai trois mille mots à pondre sur des adolescents boutonneux infoutus d’aligner trois accords sans péter une corde. Le plus marrant, c’est les photos promo. Des gringalets en marcel qui bandent leurs muscles à mort pour faire ressortir leurs tatouages qui bavent.
-Je situe bien.
-Bon dis moi… T’as du neuf?
-Ouais. Ca na pas été simple mais j’ai quelques trucs du label Boss Tuneage qui s’entassent dans un carton. Attends, je vais voir.
Boss Tuneage. Un sacré retour aux sources du punk rock à l’anglaise. Doughboys, Spermbirds, MC4, Serpico et toute la came obligatoire à ceux qui aiment se poser des questions comme Ramones ou The Clash et qui répondent la troupe de Joe Strummer, sans sourciller. Un label qui a marqué les eighties et les nineties de la perfide Albion, les blue-collars des cités ouvrières. Manchester n’a pas engendré que les frangins Callagher, fort heureusement. Aston Stephens, l’instigateur du label, se tape une grosse crise de mélancolie en ce moment, et réédite l’intégralité de son catalogue. Des petites perles pop-punk comme Goober Patrol, leur split 7 inches avec Vehicle Derek. Un truc qui date de 1990, la première sortie du label, un manifeste de grande classe doublée d’un introuvable que quelques malades s’arrachent comme des ménagères épileptiques un premier jour de soldes. J’ai aussi mis la main sur le splendide « Life… but how to live it ? » de Wordbug et « Me me me » d’Ipanema, le dernier groupe de Wiz avant son décès tragique en 2008. Un formidable activiste, un type d’une humilité confondante. L’underground est avant tout une histoire de potes.
Olivier a fini son verre et a posé le carton sur mon bureau. Il a fait mine de chercher son portefeuille.
-Attends… Tu prends le tout?
-Ben ouais.
-Ben putain, tu fais pas les choses à moitié, toi.
-Je laisse ça aux tièdes et aux lecteurs de Teknikart. Je te dois combien?
Il devait bien y avoir cinquante disques là dedans.
-Bordel, je sais pas. Disons dix euros l’exemplaire, ça fait cinq cents euros donc quatre cents. Le geste commercial, tout ça…
-Banco.
Il a aligné religieusement les billets sur la table. A ce moment, un autre client est entré. Putain, c’était le jour. L’embouteillage. Un grand et gros type, tout sourire.
-Bonjour, j’ai dit, pris au dépourvu
-Bonjour. Vous avez des disques de noise? Des bizarreries? Ou des trucs un peu cultes? Des machins pour gratte-barbichons joués sur trois cordes, en somme.
J’avais affaire à un connaisseur.
-Vous connaissez Do You Compute?
-Dans le mille.
-Dans la caisse en bois, là. Y’a des trucs de Philadelphie qui devraient vous aller comme un gant.
Cette sorte de géant, plus Olivier, plus moi, plus les disques, il ne restait plus beaucoup d’air pour respirer. J’ai ouvert la trappe au dessus de la porte. Le massif s’est penché sur la caisse et, avec un soin indéniable, s’est mis à épousseter les vinyls.
Olivier m’a fait un clin d’œil qui voulait tout dire, ou alors beaucoup de choses.
-Salut Lemmy.
-Salut.
Le gros s’est levé et m’a regardé un peu ahuri.
Vous n’êtes pas Maxime Deleval?
-Si si, enfin, c’est l’autre qui…
Il avait dans la main un 33 tours de Drive Like Jehu. Un petit bijou oublié. Toujours injustement. Les bons disques qui disparaissent de la mémoire active des hommes comptent sur des gens comme moi pour être toujours présents dans les bacs. Quand ils y sont, au chaud, la tranche offerte, ils trouvent toujours un amant de passage.
-Je suis désolé, je vous connais mais… Enfin, je connais surtout votre projet solo.
-Ah oui, Saudade… Et même après avoir écouté ça, tu continues à me vouvoyer?
Il a eu l’air un peu décontenancé par cette dernière réflexion.
-Je suis un fan inconditionnel.
J’ai ricané doucement.
-Assieds toi. Je t’offres un truc à boire? C’est une grande première pour moi, tu vois. Un fan. J’ai pas perdu ma journée.
Je lui ai ouvert une grande cannette de Leffe.
-Votre… Ton EP, c’est une perle. C’est exactement le genre de morceaux qui m’a poussé à travailler dans la musique et qui m‘a influencé dans la plupart de mes choix. Certains ont des bouquins de chevet, moi, ce serait plutôt ta musique. J’ai mis du temps à te retrouver. Et puis, ça m’a assez étonné, ta reconversion.
Je regardais le sol, comme un gosse et je le laissais venir. Je n’avais pas la moindre idée de ce dont il causait.
-Pour la faire courte, j’ai économisé une petite somme pour un travail que j’aimerai te confier. J’aimerai que tu fasses une tournée dans le cadre du lancement de mon label.
Je me suis redressé et j’ai regardé autour de moi. J’ai sifflé mon verre de rouge d’un seul trait, j’ai grimacé, ramassé le vinyl qu’il comptait acheter et mis en branle la caisse-enregistreuse.
-C’est une offre que j’aurai pu considérer il y’a encore deux ou trois ans. Je ne vends plus ce genre de chose maintenant.
-Allons, il a dit en souriant, tout ça c’est bien une histoire de passion, pas vrai?
-Je te suis pas.
-Je veux dire, il a pris une profonde inspiration, si tu pouvais revoir Rocket from the Crypt ou Second Rate sur les routes, si tu pouvais n’avoir qu’une infime influence sur leur grand retour dans le cirque rock’n roll, tu ne signerais pas?
-Si, mais…
-Et bien voilà. Toi, c’est Second Rate, moi, c’est ton projet que je voudrais relancer.
Je ne savais plus quoi répondre. En un sens, j’attendais ce mec depuis des mois. Le coup de pied au cul qui me sortirai de ma léthargie routinière. Et lorsque que ce gros signe du destin me tapotais gentiment les joues, je m’enfermais au fin fond de mes petits principes étriqués.
-Admettons que ça m’interesse.
-Oui, admets-le, on gagnera du temps.
Il avait repris du poil de la bête. Peut être comprenait-il enfin que je n’étais pas Bob Dylan.
-Donc, j’irai où, et comment? Jouer quoi? Tu bookes les dates, les cachets, l’hébergement, la bouffe? Tu t’y prendras comment? Il m’a fallu six mois pour comprendre qu’une tournée ne s’organise pas à la légère.
-Et bien justement, je pensais te laisser te démerder.
On touchait au but, ce mec était soit Marcel Beliveau, soit un parfait cinglé. Mais c’était imparable, comme demande, et impossible à refuser. Il me connaissait. Je piaffais d’impatience.
-On va dealer un truc. Je te laisse deux jours pour choisir ta destination. Je t’organises deux concerts sur place. Ta part du marché sera de compléter cinq dates supplémentaires, par tes propres moyens.
-Ca va coûter cher.
-C’est pas un problème. Dès que j’aurai ton choix, je te donnes une enveloppe avec ton argent de poche.
-Et tu y gagnes quoi?
-On verra ça à l’heure du bilan.
-Si je me fais violer par des routiers à Clermont Ferrand, tu l’auras ton bilan.
Il a payé son vinyl en se marrant et m’a griffonné ses coordonnées. Il a quitté la boutique en me lançant un « à dans deux jours» triomphal.
Au moment où il passait le pas de la porte je continuais à lui gueuler que je ne promettais rien, qu'il me fallait du temps, que tout ça c'était des conneries, de l'argent foutu par les fenêtres.

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