21/12/2010

CHAP.4 Stories of Hope, nonsences and Disillusions (Rad Party)

Mon malheur était complexe, et pourtant si simple par rapport aux malheurs du monde. Séparation, disparition, douleur, manque. Tout ça sans raison. Je souffrais depuis bien trop longtemps déjà et je ne savais pas pourquoi. Si j’y pensais, d’une manière précise, je ne savais pas par où commencer. Et j’étais bien obligé, pour donner une image compréhensible de ce qui m’étais arrivé, d’en faire une relation qui sonnait comme un fait divers, comme une lamentable bavure ordinaire, avec ce qu’il faut de détresse pour faire dresser l’oreille d’un quelconque humain, et avec ce qu’il subsiste de dérisoire pour qu’on l’oublie vite…
Je me suis affalé dans mon canapé et poussé les potards de ma chaîne hi-fi sur onze. Les premières notes de « The Proximity Effect », de Nada Surf se sont glissées dans la pièce. Plus mélo, tu meurs. Je me suis allumé une cigarette, dans l’obscurité totale et les volutes se sont mélées à la musique. Le moment aurait pu être d’une étrange beauté si il n’avait pas été aussi routinier. Tous les soirs à la fermeture du magasin, je regagnais ma turne, près d’Alésia, je m’enfilais les disques de powerpop par dizaines et je broyais du noir. On se serait cru dans une mauvaise adaptation de Dostoïevski.
Bien sûr, j’aurait pu tenter de me suicider, pour voir. En finir avec ce qui n’était plus une vie, mais qui l’était encore, puisque j’étais là, dans ce minuscule appartement à la limite de l’insalubre et que c’était donc que j’attendais quelque chose, puisque j’étais là, dans cet appartement.
Ma relation avec Inês avait duré trois ans. On s’était même marié, un an presque.
Une vieille histoire, à mon échelle, au moins aussi ancienne que ma passion viscérale pour le punk rock. Trois ans de bonheur un peu replet, quand on approche de la trentaine sans vraiment avoir les couilles d’embrasser ce cap fatidique, qui nous gonfle tellement, pourtant, dans les comédies françaises avec Romain Duris. Mais on apprend à se persuader d’être heureux, on se donnait les moyens d’être bien, un intime réglé, une connivence maîtrisée, la joie du calme. Ma musique, bien sûr, quelques coups de riffs dans le quotidien, cette occupation qui faisait couler le temps plus vite et ces préoccupations que nous partagions.
Et puis tout s’était effrité lentement, une érosion au ralenti. Et elle était partie, c’est aussi con que ça. Je me retrouvais seul, dans l’appartement parisien, je me refaisais des marques, je réapprenais à manger froid et mal, j’écoutais très fort, les disques de crust-hardcore qu’Inês ne supportait pas, je sortais beaucoup en cherchant à me persuader qu’on est mieux seul, au cinéma.
J’avais violemment plongé dans le désespoir, la tête sous l’eau, j’avais mis trois mois à boire ma douleur, mais avec, derrière la tête, comme un virus, cette mauvaise pensée, elle avait payé et perdu, je venais de perdre une femme, un amour qui n’était pa complètement parfait, puisque tout ça était terminé.
Et puis, petit à petit, j’avais réglé ce substrat des souvenirs vivaces d’Inês et j’avais décidé de bosser. D’abord trois morceaux de folk sous méthadone que j’avais produit avec quelques économies, puis la reprise de la boutique, anciennement antiquaire de la rue des Cannettes. Je décidais de tenter, de chercher la seule solution pour redevenir neuf, pour me restructurer, pour affronter à nouveau le temps.
Et j’ai eu le temps de ressasser, dans le vague, le vide, le presque-rien ou l‘à-peu-près, Rien ne tenait. A part l’amour. Une histoire d’amour, le coup de foudre, un truc tout bête. C’était la seule solution, la seule réalité qui justifiait son départ.
Alors, on ne se suicide pas pour ça.
Pour ne pas avoir à repleurer, en pensant à ses bras enlaçant ma taille, à l’oreiller toujours en travers, à ses débardeurs noir, ceux qu’elle ne mettait que la nuit, la bouteille de Coca Light près du lit, aux disques mille fois écouté, je suis ressorti.
Il fallait bien commencer.
Personne ne le ferait à ma place.
J’ai avalé un café au petit bar, presque au pied de l’immeuble. Peu de monde. Au mur des paysages colorés et des photos de Capa. Et j’ai encore mis un petit moment à griffonner BALKANS sur un coin de nappe.

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