25/12/2010

Chap.5 Never Apologize, never Explain (Therapy?)

Le lendemain, je me suis réveillé tôt avec, dans la tête, un air idiot, un truc électro-chiant, plus hype, tu meurs : « Sans prendre le temps de s’arrêter, blablabla, premier arrivé » et un refrain baragouiné dans un anglais plus qu’approximatif. Va savoir pourquoi. J’examinais ma bouche et je constatais que ma langue était encore violacée par le vin cheap que je m'étais enfilé une grosse partie de la nuit. Qui pouvait boire ce truc, nom de Dieu? J’étais en train de m’arracher les cheveux pour m’extirper du coltard, plus de café, lorsque François m’a appelé. Il exultait, c’était le plus beau jour de sa vie:
-Des années que je le cherche rien n’a bougé putain tu verrais ça les photos des habitués sur les murs le vrai petit troquet juste à côté des anciens abattoirs ça sent encore la soupe à la tête de veau du petit matin avant d’aller bosser je déconne pas un vrai putain de troquet authentique encore vierge on capte même un bout de Wi-fi je sais même pas d’où ça vient!
-Pourquoi tu t’énerves…
-Je m’énerve pas, je t’explique. Allez rapplique!
Il m’a fallu une petite heure pour le rejoindre, mais goûter aux imprécations novarinesques et aux théories dénuées de sens de François faisait partie de ces petits plaisirs que je ne pouvais décemment pas refuser en ce moment. Quand je l’ai rejoint dans son nouvel Eden, son visage s’est éclairé.
-Alors attention! Pas un mot à qui que ce soit! Si quelqu’un vient à savoir que cet Eldorado existe, on va être submergés de connards qui vont vouloir surfer ou écrire à côté de nous…
Dix heures dix huit et il me régalait déjà. J’en avait la gorge serrée.
-… Ou pire, et là, j’ose à peine l’évoquer. Si il y’a un seul putain de branché…
On y revenait toujours, ou presque. François avait une idée bien précise et complètement définitive de la faune parisienne qui polluait son monde : des types qui « se gargarisent de culture meanstream, organisent des expos de photos en noir et blanc de vieux en slip, bossent sur Mac en buvant du Picon coupé au Viandox ». Il arrivait que François soit en pleine forme.
-… qui ose passer le pas de cette porte, adresser la parole à la vieille derrière le comptoir, je te jure, c’est mort, je retourne dans un PMU de merde authentique avec des clodos autour.
-Bon sang…
-Alors quoi de neuf? Au fait tu sais la meuf dont je t’ai demandé le prénom l‘autre jour, ba en fait c’était pas Géraldine. Elle m’a foutu dehors avant que je finisse par deviner, figure toi. Tu bois quoi?
J’ai répondu un café, c’est sacré, et contrairement à la majorité coincée intra-muros, j’aime bien le Robusta. Il a commandé deux bières.
Pendant qu’il descendait sa mousse, puis rapidement une deuxième, j’ai tenté de lui expliquer ma rencontre avec mon mystérieux mécène, cette éminence grise qui me poussait dans mes derniers retranchements, faisait voler en éclats les quelques repères qui régissaient mollement mon existence.
-De quoi tu te plains?
-Je me plains pas, j’émets des doutes. Nuance!
-Et puis je pourrais bien écrire la dessus, tiens, pour une fois qu’il t’arrive un truc de vraiment imprévisible…
Allons bon. Si je ne réagissais pas dans le minute, il allait me prendre la tête en me parlant de l’état de ses recherches sur sa thèse, de son roman en construction, sa Sagrada Familia littéraire, son Chinese Democracy tout à lui. Et j’en avais pour des plombes. Comme ce n’était pas tout à fait mon genre, il fallait que je trouve vite une solution. En plus, François avait la tête des bons jours et je le sentais prêt à se faire embarquer, pour le plaisir.
-Au lieu d’extrapoler sur mes futurs exploits, pourquoi tu ne viendrais pas avec moi?
En avant. Le grand jeu. J’ai pris ma respiration.
-Ecoute, l’autre fou furieux m’a appelé dans la nuit, dès que je lui ai annoncé ma destination. Il débloque trois mille euros. A moi de me dépatouiller dans les grandes largeurs avec ça. Alors bon, ma guitare, une réserve pour les imprévus qui ne seront pas prévus et pourquoi pas un peu de merchandising? Et pourquoi pas un type pour s’en occuper?
Jamais je n’avais eu autant de culot. Qu’Est-ce que je j’avais mangé, le matin? Et pourquoi j’avais encore la chanson électro-chiante dans la tête?
-Et maintenant que je t’ai expliqué tout ça, maintenant que je suis sûr que ça va se faire, t’en dis quoi?
Je l’avais ferré juste au bon moment. Il m’a observé. Un degré minime d’hilarité se mettait à pointer sur son visage.
-Tu t’es bien foutu de ma gueule, c’est des conneries tout ça. Mais tu es formidable.
-N’est-ce pas?
-J’accepte.
On a ri de concert et François a payé sa tournée. Après je ne sais plus. Nos conversations ont commencé à tourner autour de cheptels de groupies et d’after-shows dans des backstages odorants. Vers quatorze heures, François m’a fébrilement serré la main et est reparti comme un ouragan en me promettant de passer à la boutique avec quelques idées et quelques billets pour préparer une compilation musicale censée se marrier avec nos pérégrinations. Et il m’a conseillé de passer au Rad Party, parce que si il y’avait un type dans cette ville pour nous concocter un itinéraire, c’était bien là-bas que je le trouverai.
Et hop, un manager et cent cinquante euros de plus, au bas mot.

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